L’entretien du patrimoine religieux en France pèse plusieurs centaines de millions d’euros chaque année sur les finances publiques. Pour 2024/2025, l’estimation actualisée des dépenses publiques liées à l’entretien des édifices religieux en France, selon le « Programme 175 : Patrimoine », est d’environ 394 M€ en crédits de paiement prévus, comprenant, la restauration et l’entretien des monuments historiques, les diagnostics, les chantiers de sauvegarde, les travaux d’urgence, ainsi que l’accompagnement des collectivités propriétaires de ces monuments.
Pour info, le « Programme 175 » est une ligne du budget de l’État dédiée à la culture, et en particulier au patrimoine. Il comprend plusieurs actions, dont l’Action n°1, appelée « Monuments historiques et patrimoine monumental ». C’est cette action qui sert à financer l’entretien et la restauration des monuments historiques, dont une très grande majorité sont des bâtiments religieux (églises, chapelles, cathédrales…).
En 2023–2024, l’Action 01 représente environ 70 % du Programme 175, soit près de 394 M€, la majorité de ces crédits allant aux édifices religieux, constituant environ 80 % des monuments historiques classés ou inscrits en France, sans distinction avec les autres types de patrimoine.
Mais avant d’aller plus loin, faisons un peu d’histoire.
L’histoire officielle retient la loi de 1905 comme l’acte fondateur de la laïcité française. Mais en réalité, tout commence bien plus tôt, dès le Concordat de 1801, signé entre Napoléon Bonaparte et le pape Pie VII. C’est à partir de cet accord, présenté comme une « pacification religieuse », que l’Église catholique de France va méthodiquement tisser sa toile territoriale, tout en reportant le coût de cette emprise sur l’État et les citoyens.
En effet, outre le fait que l’État reconnaisse le catholicisme comme « la religion de la majorité des Français », mais sans en faire une religion d’État, il s’engage, en échange d’un droit de regard sur les nominations épiscopales, à rémunérer les ministres du culte et à entretenir les édifices religieux existants ou nécessaires à l’exercice du culte. Autrement dit, les églises deviennent propriétés publiques, tout en restant affectées à l’usage exclusif du clergé catholique.
Pour l’Église, ce Concordat est le deal du siècle. Plus elle multiplie les bâtiments, plus elle augmente son emprise, et plus elle transfère la charge financière, entretien, restauration, réparations, et parfois même les frais d’exploitation à l’État et aux communes. Ce tour de passe-passe est d’autant plus habile que les bâtiments, bien que religieux, deviennent, dès 1905, de facto du “patrimoine public”, ce statut leur assurant une longévité et une protection que l’Église seule n’aurait jamais pu prendre en charge, ni humainement, ni financièrement.
Au fil du XIXᵉ siècle, la montée de l’anticléricalisme, des idées républicaines et de la libre pensée ne passe plus inaperçue. L’Église comprend vite que l’État ne sera bientôt plus son allié, tel qu’il a pu l’être jusqu’alors. Elle ne cherche pas non plus à freiner la tempête laïque, au contraire, elle prépare le terrain pour en sortir indemne, voire gagnante. C’est dans cette optique que s’intensifie la construction d’églises, notamment dans les communes rurales, afin de saturer le territoire d’une présence catholique visible, durable, difficile à remettre en cause. L’Église n’a pas besoin de les posséder, il lui suffit de les occuper, et que l’État continue de les entretenir. Ainsi, par anticipation, entre 1801 et 1905, l’Église catholique fait construire et entièrement rénover entre 15 000 et 20 000 bâtiments religieux.
Quand la loi de séparation des Églises et de l’État est votée en 1905, l’essentiel est déjà joué. L’État reprend la pleine souveraineté juridique, mais doit continuer à entretenir les lieux de culte construits avant 1905. Et comme la France en compte des dizaines de milliers, les engagements signés en 1801 entre Napoléon Bonaparte et le pape Pie VII deviennent, en réalité, un fardeau hérité d’un siècle de stratégie cléricale.
Abus de langage
Ce que l’on appelle aujourd’hui “patrimoine religieux” est trop souvent présenté comme un legs culturel neutre, presque naturel. Mais en réalité, c’est le fruit d’un calcul politique d’envergure, conçu pour faire assumer à la République les coûts d’une présence religieuse massive, dans un pays qui, ironiquement, est désormais très majoritairement athée.
Que l’État prenne en charge le patrimoine culturel religieux, sans conteste, oui. Mais il est hors de question qu’il paie les tours de passe-passe, clairement liés à une stratégie politique froide et efficace de l’Église de France. Pour moi, la date de référence de l’engagement à l’entretien de ce patrimoine ne devrait donc plus être 1905, mais 1801, année de la signature du Concordat entre la France et le Vatican.
Sachant cet historique, il est clair que ce que l’on nomme aujourd’hui « patrimoine religieux » n’est pas uniquement un héritage culturel, étant le fruit d’un rapport de force historique, d’un calcul stratégique de l’Église, et d’un consentement politique étatique qui perdure encore aujourd’hui. Or, d’autant plus dans un pays majoritairement athée, continuer à entretenir des milliers de lieux de culte catholiques sans même questionner l’origine de cette charge publique est une hypocrisie laïque, et pire encore, un deal en bande organisée entre l’État français et l’Église de France. La référence à 1905 doit être dépassée. C’est en 1801, lors du Concordat, que s’est noué l’engagement historique… et l’abus qui l’accompagne.
Il ne s’agit bien évidemment pas pour moi de nier la valeur architecturale ou patrimoniale de ces édifices, mais de remettre en question la logique qui les sanctuarise aux frais de la République, au mépris des principes de neutralité, de justice budgétaire et d’égalité des convictions.
Il est temps que la République assume son histoire, revoie ses priorités, et cesse de faire payer aux athées, non-croyants, et fidèles d’autres religions, les factures d’un maillage cultuel catholique imposé par d’autres siècles.
G. Ragnaud