En France, le cléricalisme conservateur, patriarcal, populiste est à ce point enraciné dans les institutions nationales qu’il constitue, à l’évidence, l’une des causes majeures du déclin politique, social et économique que nous connaissons aujourd’hui.
Pendant des siècles, l’ordre moral a dicté les priorités, freiné les réformes, formaté les élites et imposé à la société une hiérarchie des valeurs où l’obéissance valait mieux que l’émancipation, la charité mieux que le droit, la tradition mieux que la preuve. Ce carcan, transmis de génération en génération, a fini par façonner les structures mêmes de l’État et du pouvoir, jusqu’à peser sur les politiques publiques, les arbitrages budgétaires, les modèles éducatifs et les choix industriels.
Ses conséquences se mesurent aujourd’hui dans tous les domaines. Une dette publique chronique, entre autres nourrie par des décennies de subventions aux cultes, d’exemptions patrimoniales et de soutiens clientélistes au privé confessionnel. Des services publics affaiblis, soumis à une logique morale de mérite plutôt qu’à une logique de moyens et d’efficacité. Une école duale qui disperse les budgets et entretient la ségrégation sociale au nom de la “liberté d’enseignement”. Une recherche scientifique bridée par la frilosité morale et le manque de financement pérenne. Une justice lente et sous-dotée, reflet d’un État qui préfère encore l’aumône à la réparation, la compassion à la responsabilité. Et une santé publique asphyxiée, conséquence directe d’un modèle qui glorifie la vocation et sacralise la souffrance plutôt que de garantir la dignité et la prévention.
Cette chape cléricale a longtemps façonné les réflexes des gouvernants. L’idée même de réforme est perçue comme une transgression, la redistribution comme une menace pour l’ordre établi, l’émancipation des femmes comme une rupture avec la tradition, la laïcité comme un excès de liberté. Les élites administratives et politiques, formées dans ce bain culturel, reproduisent souvent, sans en avoir conscience, les mêmes schémas de pensée : moraliser avant d’évaluer, sanctuariser avant d’expérimenter, ménager les sensibilités religieuses avant de trancher selon la raison et les faits.
Ce cléricalisme diffus, aujourd’hui encore imprègne les institutions et ralentit la marche du pays. Il ne s’agit pas d’une influence mystique mais d’un héritage structurel : la verticalité des décisions, la peur du conflit, le goût du symbole, la tentation du compromis moral plutôt que du courage rationnel. À force de ménager la tradition, la France a pris du retard sur les transitions majeures : énergétique, industrielle, numérique, éducative. Là où d’autres nations ont investi dans la recherche, dans la science, dans la planification stratégique, la France a longtemps préféré débattre du “sens”, de “l’âme”, des “racines”, comme si l’identité pouvait suppléer l’intelligence collective.
Ce retard se paie aujourd’hui en perte d’influence, en désindustrialisation, en fuite des cerveaux, en précarisation du travail, en décrochage scolaire. La morale a remplacé la stratégie, l’habitude a supplanté la méthode, et le résultat est visible : un pays fatigué de lui-même, enfermé dans des schémas du passé, trop souvent gouverné par la peur de heurter des croyances plutôt que par la volonté d’émanciper les consciences.
Pourtant, une autre voie est possible. Une société fondée sur la laïcité réelle comme principe actif d’organisation collective, retournant la logique même du cléricalisme. Elle libère la pensée politique du dogme, elle replace le citoyen au centre de la décision, elle rend les institutions plus rationnelles, plus transparentes, plus performantes.
Une société laïque, débarrassée des normes religieuses, n’oppose pas la foi à la raison, mais garantit à chacune et chacun le droit de vivre selon ses convictions, sans que ces convictions dictent la loi commune. Elle favorise la connaissance plutôt que la croyance, la responsabilité plutôt que la soumission, la preuve plutôt que le préjugé. Elle redonne à l’école sa mission première, « former des esprits libres », à la science son autonomie, à la justice son égalité, à la politique son horizon collectif pour le bien commun.
C’est dans cette liberté réacquise que peut se construit une nation, capable de plus d’évolution, plus rapide, plus juste, n’ayant plus à négocier ses avancées avec le poids des dogmes. C’est en cela que se trouve la promesse d’une société véritablement humaniste, affranchie des tutelles symboliques, ouverte à la recherche, à l’innovation, à la culture et à l’équité sociale.
Une République laïque et exigeante est une République vivante, fondée sur la raison, la solidarité et la dignité, décide sur la base de faits, valorise la diversité des pensées, ne sacralise personne et protège tout le monde. En bref, une société laïque est plus humaine.
C’est cette France-là que nous athées devons construire : une France où la raison, la justice et la laïcité deviennent enfin les moteurs d’une évolution partagée.
@GenerationAthee

